Table des matières
Les sources
- Le site Les visas en bordelais a publié le témoignage d’un émigrant, Charles PIHAN qui se trouvait sur le même navire que Edmond de GINOUX et Adèle DOMBASLE au départ en septembre 1847. Ce témoignage permet de suivre le périple, l’ambiance à bord, ce qu’ils ont observé tout au long du voyage.
- Les archives de la Gironde, le registre des visas, les passeports et le registre des sorties de navires
Le Navire le Gange
Le navire Gange était enregistré pour quitter le port de Bordeaux le 7 septembre 1847.
Il avait pour destination le port des Mers du Sud (Valparaiso, Chili).
C’était un 3 mâts de 366 tonneaux, commandé par le capitaine Dubedat, secondé par 18 hommes d’équipage.
Il battait pavillon français, son port d’attache était Bordeaux.
Son armateur était Tandonnet. Le courtier à Bordeaux était Tournay. Il transportait diverses marchandises.
Le départ laborieux du Gange
« Nous avons arrêté notre passage sur le Gange sous les ordres du capitaine Dubedat. Il nous a été impossible de passer à moins de 500 francs chacun. Le capitaine nous disait, nous partons à la fin de la semaine ou au commencement de l’autre, et toujours nous remettait, mais maintenant le navire a quitté la rade et est descendu jusqu’à Bacalan (quartier de Bordeaux), où il prend des vivres pour l’équipage, aujourd’hui le capitaine nous dit qu’il cale 16 pieds et qu’il ne peut pas partir. Nous sommes donc forcés d’attendre les fortes marées, vu que la rivière est trop basse, cela nous contraint car nous n’avons plus de travaux. Nous faisons donc des petits achats pour la traversée car il en faut à ne plus finir ; celui qui n’a jamais embarqué ne peut pas imaginer les tourments que cela donne, et si c’était à recommencer, je ne sais pas ce que je ferais.
Ce matin, Mr Dubédat est venu nous trouver pour nous dire qu’il fallait nous disposer à partir demain matin pour Pauillac.
Pauillac ce 27 courant, nous sommes arrivés avant-hier à 11 heures du matin, il était trop tard pour partir, le lendemain matin les vents étaient contraires, ce matin les vents sont bons et nous devons partir à 7 heures.
La Gironde ce 27 courant.
Les voyageurs nous ont retardés et nous ne sommes partis qu’à 8 heures et nous n’avons fait qu’une lieue, il faut que nous attendions la marée car nous n’avons pas assez d’eau pour passer. Je vous dirai que nous sommes 42 passagers et 6 passagères toutes jeunes, parmi lesquels se trouvent le gouverneur des Iles Marquises qui y retourne, un riche Chilien qui s’est marié en France et qui emmène sa femme à Valparaiso, nous espérons qu’ils nous seront utiles en arrivant.
Nous sommes partis le mardi 28 à 6 heures du matin et nous avons été favorisés par un très bon vent ; nous sommes entrés en mer à 9 heures et demi, jamais on n’a vu une plus belle mer, car elle est aussi calme que la mare de Marnes. Je vous prie de faire des compliments à Mlle Rosine et à sa famille, au revoir.
Le pilote nous quitte, on ne voit plus que le ciel et l’eau. »
Extrait des lettres de Charles PIHAN à sa mère
La liste des passagers
Nous allons tenter de reconstituer la liste des passagers du Gange : 42 passagers et 6 passagères.
Les 6 femmes
- Jeanne DESPEYRONS, femme MOUÏS qui va rejoindre son mari (passeport délivré par le préfet de Gironde)
- sa fille Suzanne MOUÏS âgée de 16 ans de Lamothe (Gironde)
- Catherine Nancy DULUC, « travailleuse en robe » de Bordeaux (passeport délivré par le préfet de Gironde)
- GARREAU Gabrielle, notre Adèle DOMBASLE (passeport délivré par le préfet de police)
- la femme du riche Chilien
- X
Les 42 hommes
- Pierre Eugène SABATIE de Libourne (passeport délivré par le préfet de Gironde)
- Edmond de GINOUX (passeport délivré par le ministère des affaires étrangères)
- Alexis CORNU (passeport délivré par le préfet de police)
- Jean Louis DAVOUS (passeport délivré par le préfet de police)
- Charles PIHAN (passeport délivré par le préfet de Seine et Oise)
- Adrien PONCHENARD, son ami charpentier
- Jean GOURAUD (passeport délivré par le préfet de Charente)
- le marquis de Labretonnière
- Mr Marescaux, commissaire de marine pour Tahiti
- le gouverneur des Iles Marquises,
- un riche Chilien
- ………….
Le déroulement du voyage
- 28 septembre 1847 – Entrée en mer
- 1er octobre 1847 – Croisement du navire « La Ville de Bordeaux » venant de Valparaiso et se rendant à Bordeaux. Les navires sont accompagnés par des marsouins.
- novembre – Chute d’une femme enceinte qui accouche d’un enfant mort-né ; passages de requins ; poissons volants ; baptême des passagers par les marins au passage de l’équateur.
- 13 octobre 1847 – Île de Porto Santo, puis île de Madère.
- 20 décembre 1847 – La Terre de feu couverte de neige.
- 21 décembre – Le Cap Horn est doublé et croisement du navire anglais « La Niña »venant de Callao (Pérou) et se rendant à Liverpool. Plusieurs jours pendant lesquels la nuit ne tombe pas.
- 22 décembre 1847 – En vue des îles Diego Ramirez accompagné des albatros.
- 4 janvier 1848 – Une baleine près du navire
- 9 janvier 1848 – Arrivée dans la rade de Valparaiso
- 10 janvier 1848 – Débarquement.
« Je vous dirai que nous avons fait un voyage assez bon dans le rapport du temps ; heureusement, car pour le restant, nous avons été horriblement mal ; notre navire faisait eau, il fallait pomper de 5 à 6 heures par jour ; puis nous avons été très mal nourris et encore plus mal couchés, mais il paraît que c’est l’habitude de Messieurs les Capitaines envers leurs passagers, car une fois en mer, ils se croient les seuls maîtres après Dieu. Malgré cela nous lui avons joué une farce assez bonne, nous avions à bord des personnes très éminentes, et comme le capitaine avait été aussi injuste envers eux qu’envers nous, ils nous ont conseillé de l’attaquer devant le consul de France à Valparaiso, et nous ont donné la marche à suivre. Dans cette affaire, quand nous nous sommes plaints pour la première fois, le consul n’a pas eu l’air de nous écouter, mais quand nous lui avons assuré que ce que nous lui disions était vrai et que nous lui donnerions les témoignages de M. de Ginoux, chargé d’une mission par le gouvernement français pour prendre des renseignements sur la conduite des consuls de France dans les mers du Sud, de Mr le marquis de Labretonnière et Mr Marescaux, commissaire de marine pour Tahiti, il est devenu plus doux et nous avons nommé des arbitres des deux parties, qui condamnent le capitaine à remettre à chacun de nous 40 piastres.
Nous sommes débarqués le 10 janvier après une traversée de 103 jours, nous nous portons très bien et nous avons des travaux, nous gagnons 20 Réaux par jour. Il faut huit réaux pour une piastre, et une piastre est un peu plus d’une pièce de 5 ( ?) francs ; mais tout est cher en proportion ; pour vous donner une idée, nous avons loué une petite chambre pour nous deux que nous payons une demie-once d’or par mois, ce qui fait 43 francs. »
Extrait des lettres de Charles PIHAN à sa mère
Le cicuit du courrier entre la France et l'Amérique du sud
« Comme la barque du pilote pourrait bien être renversée et la lettre perdue dans les flots, voici quelques détails pour quand vous voudrez m’écrire ; tous les mois il part d’Angleterre un bateau à vapeur qui va jusqu’à Panama, là il part une cavalcade de plusieurs personnes qui prennent les dépêches et traversent le Pérou dans son entier, et les déposent à Lima dans un bateau à vapeur faisant le service des côtes dans les mers du sud, les prend et les dépose dans chaque port ; comme il n’y a pas de facteur, on affiche dans un bâtiment spécial les noms de personnes pour qui il y en a, et ceux que cela intéresse vont chaque mois voir s’il y en a pour eux. Ce bateau part de l’Angleterre le 15 de chaque mois, les lettres mettent 60 à 65 jours de traversée, ainsi vous pourrez m’écrire quand bon vous semblera, le plus souvent sera le meilleur. Il faudra que vous les mettiez à la poste le 12 au plus tard, je vous avertis aussi que vous serez forcés d’affranchir jusqu’à Panama et cela vous coûtera à peu près 3 francs. Pour quand je les recevrai, j’aurai 2 francs à payer, quand je vous écrirai, j’aurai 2 francs à payer aussi, mais il n’y a pas moyen de faire autrement. Voilà la manière de mettre l’adresse :
Monsieur Carlos Antonio Pihan carpintero / à Valparaiso Chili par l’Angleterre / Voie de Panama »
Extrait des lettres de Charles PIHAN à sa mère