Contexte politique et sociétal
La période se situe sous la 3ème république française, le républicain modéré Jules GRÉVY est président de la République, Léon GAMBETTA préside la chambre des députés et Jules FERRY dirige le gouvernement, Pierre WALDECK-ROUSSEAU est le ministre de l’intérieur, tous sont républicains. « Les Républicains », parti des libertés, veut devenir également le parti de l’ordre afin d’assurer la sécurité de tous les citoyens.
D’autres part des experts du crime, des statisticiens, des magistrats, des juristes posent le problème des criminels récidivistes incorrigibles et en publient des ouvrages et des articles dans différentes revues lus par le personnel politique.
Les journaux de l’époque rivalisent entre eux en publiant de nombreux faits divers (crimes, vols…) et en soulignant le caractère récidiviste des auteurs. Le problème du récidiviste incorrigible est ainsi sorti du cercle des spécialistes du crime pour être étendu à tous les lecteurs.
La convergence de ces différents intérêts alimente un sentiment d’insécurité dans l’opinion publique. Les fautifs sont tout désignés : les récidivistes incorrigibles.
La maturation de cette loi va durer plusieurs années pour être finalement votée dans l’urgence, dans une version insatisfaisante, la veille d’une échéance électorale nationale, les élections législatives d’août 1885.
Extraits de la loi du 27 mai 1885
Article 1er : La relégation consistera dans l’internement perpétuel sur le territoire des colonies ou possessions françaises des condamnés que la présente loi a pour objet d’éloigner de France. Seront déterminés, par décrets rendus en forme de règlement d’administration publique, les lieux dans lesquels pourra s’effectuer la relégation, les mesures d’ordre et de surveillance auxquelles les relégués pourront être soumis par nécessité de sécurité publique ; et les conditions dans lesquelles il sera pourvu à leur subsistance, avec obligation du travail à défaut de moyens d’existence dûment constatés.
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Art. 4 : Seront relégués les récidivistes qui, dans quelque ordre que ce soit et dans un intervalle de dix ans, non compris la durée de toute peine subie, auront encouru les condamnations énumérées à l’un des paragraphes suivants :
- Deux condamnations aux travaux forcés ou à la réclusion, sans qu’il soit dérogé aux dispositions des § 1 et 2 de l’article 6 de la loi du ;
- Une des condamnations énumérées au paragraphe précédent et deux condamnations soit à l’emprisonnement pour faits qualifiés crimes, soit à plus de trois mois d’emprisonnement pour : Vol ; Abus de confiance ; Outrage public à la pudeur ; Excitation habituelle de mineurs à la débauche ; Vagabondage ou mendicité par application des articles 277 et 279 du Code pénal ;
- Quatre condamnations, soit à l’emprisonnement pour faits qualifiés crimes, soit à plus de trois mois d’emprisonnement pour les délits spécifiés au § 2 ci-dessus ;
- Sept condamnations dont deux au moins prévues par les deux paragraphes précédents, et les autres, soit pour vagabondage, soit pour infraction à l’interdiction de résidence signifiée par l’application de l’article 19 de la présente loi, à la condition que deux de ces autres condamnations soient à plus de trois mois d’emprisonnement. Sont considérés comme gens sans aveu et seront punis des peines édictées contre le vagabondage tous les individus qui, soit qu’ils aient ou non un domicile certain, ne tirent habituellement leur subsistance que du fait de pratiquer ou faciliter sur la voie publique l’exercice de jeux illicites, ou la prostitution d’autrui sur la voie publique.
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Art. 18 : Des règlements d’administration publique détermineront : Les conditions dans lesquelles accompliront les obligations militaires auxquelles ils pourraient être soumis par les lois sur le recrutement de l’armée ; L’organisation des pénitenciers mentionnés à l’article 12 ; Les conditions dans lesquelles le condamné pourrait être dispensé provisoirement ou définitivement de la relégation pour cause d’infirmité ou de maladie, les mesures d’aide et d’assistance en faveur des relégués ou de leur famille, les conditions auxquelles des concessions de terrains provisoires ou définitives pourront leur être accordées, les avances à faire, s’il y a lieu, pour premier établissement, le mode de remboursement de ces avances, l’étendue des droits concédés et les facultés qui pourraient être données à la famille des relégués pour les rejoindre ; Les conditions des engagements de travail à exiger des relégués ; Le régime et la discipline des établissements ou chantiers ou ceux qui n’auraient ni les moyens d’existence ni engagement, seront astreints au travail ; Et, en général, toutes les mesures nécessaires à assurer l’exécution de la présente loi. Le premier règlement destiné à organiser l’application de la présente loi sera promulgué dans un délai de six mois au plus à dater de sa promulgation.
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L'application de la loi
Déjà, en 1851, peu avant le coup d’état du prince-président BONAPARTE, le choix des lieux de transportation des individus placés sous la surveillance de la haute police ou appartenant à une société secrète avait conduit à de vifs débats ( revoir le plaidoyer d’Edmond de GINOUX contre la transportation aux îles Marquises).
Dans quelle colonie ou possession française reléguer ces récidivistes ? La Nouvelle Calédonie, les îles Marquises, l’île Phu-Quoc et la Guyane sont les destinations envisagées. Leur première destination sera la Nouvelle Calédonie, puis la Guyane.
La relégation comporte un volet répressif, la sortie de la métropole et un volet colonial, une nouvelle population destinée à développer économiquement la colonie.
Mais comment assurer la sécurité de la colonie lorsqu’elle va se voir littéralement « envahie » de milliers de relégués totalement libres de leurs faits et gestes ? C’est pourquoi la Nouvelle Calédonie déjà colonisée va arrêter le flux des relégués. La Guyane restera la seule destination des relégués et notamment ceux relevant de la relégation collective (c’est à dire jugés inaptes à exercer un métier). Ces derniers sont enfermés dans des établissements de l’administration qui pourvoirons à leur subsistance et où ils sont astreints au travail.
C’est ainsi qu’en 1910, un des oncles de Coco CHANEL, Jules Marius CHANEL, multi-récidiviste, est envoyé en relégation collective en Guyanne.
La relégation n’est abolie qu’en 1970.