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Bédoin l'infâme
En 1794, la France est plongée dans un climat de terreur depuis les massacres de septembre 1792, puis la loi des suspects de septembre 1793. À cette époque, Bédoin compte environ 2000 habitants. Située au pied du Mont Ventoux, cette commune constitue depuis le début de la Révolution un foyer contre-révolutionnaire. En effet, les habitants, restés très attachés au Pape dont ils n’étaient séparés que depuis 1791, acceptent mal les changements dus à la Révolution. Aussi Bédoin apparait-il comme un foyer royaliste et papiste ce qui lui valut le surnom de « Vendée du Midi ».
Au printemps 1794, un événement sert de déclencheur à un des épisodes les plus sanglants de la Terreur en Vaucluse :
Dans la nuit du 12 au 13 floréal an II (1 et 2 mai 1794), l’arbre de la liberté, planté deux ans auparavant par les révolutionnaires, est déraciné et abandonné au pied des remparts dans «le pré aux porcs »… vrai sacrilège pour les républicains. Le bonnet phrygien qui le surmontait fut jeté dans un puits. Quant à l’affiche informant des décrets de la Convention, elle est arrachée et trainée dans la boue.
La réaction des révolutionnaires
Des sanctions s’imposent donc. L’administration d’Orange et de Carpentras avise alors un certain Maignet, représentant du gouvernement révolutionnaire pour les départements des Bouches du Rhône et du Vaucluse. Celui-ci décide d’envoyer l’agent national Le Go, avec le 4ème bataillon de l’Ardèche basé à Carpentras, pour arrêter les membres de la municipalité qui n’ont pas fait enfermer les nobles de cette commune. Les militaires vivent chez les habitants, aux frais de la commune, jusqu’à ce que les coupables soient dénoncés. C’est l’occasion de perquisitions accompagnées de vols et de destructions diverses. Les conseillers municipaux, les nobles, les prêtres et autres notables sont arrêtés et parqués dans l’église. Mais personne ne dénonce les coupables. Furieux, Maignet menace de détruire la commune et, le 21 floréal (10 mai), le tribunal criminel arrive à Bédoin, la guillotine aussi…
Maignet cependant hésite : les exécutions ne peuvent avoir lieu qu’avec l’accord de la Convention à Paris. Par conséquent, compte tenu des délais de route, la réponse n’arrive que le 7 prairial (26 mai). Cela faisait trois longues semaines que la troupe était arrivée.
Le jugement
Le tribunal révolutionnaire d’Orange est établi le 21 floréal an II (10 mai 1794) et se déplace le jour-même à Bédoin, pour renforcer l’exemplarité du procès. Durant l’instruction du procès, les charges retenues contre les accusés : « négligences coupables », « parent d’émigré ». La population fait l’objet d’une enquête où toutes les relations sociales sont scrutées dans les moindres détails.
Avant l’affaire, elle est déjà « suspecte » du fait de ses combats contre le rattachement du Comtat Venaissin à la France en 1791 et pour le fédéralisme en 1793. Maignet utilise, à propos de la commune, les termes suivants lors du procès : « en état de contre-révolution ». Il reproche aussi aux Jacobins qui tiennent la muncipalité des abus de pouvoir et leur peu de zèle à résoudre l’affaire dès son déclenchement.
Le 9 prairial (28 mai) le tribunal s’installe en plein air sur la grande place (l’actuelle place des écoles), là où se tenait l’arbre de la liberté.
Au terme du procès, 63 habitants sont condamnés à mort dont 8 femmes parmi lesquelles, la plus jeune des victimes âgée de 19 ans et deux religieuses, 10 sont « mis hors la loi », une personne est condamnée aux fers, 13 à la réclusion et une à une année de détention. 52 personnes sont remises en liberté, mais restent soumises à l’arrêté du 17 floréal.
Les éxécutions et la destruction du village
Parmi les 63 condamnés à mort, on trouve d’un côté le maire, des membres du comité de surveillance, de la Garde nationale ; de l’autre, des nobles, des prêtres réfractaires, des notables connus pour leurs idées contre-révolutionnaires.
À la troisième et quatrième places, on trouve André-Louis Florans-Molière (45 ans) et Cécile Claptien son épouse (30 ans, maman d’un bébé de 3 mois). 35 des condamnés sont guillotinés mais pour aller plus vite (l’odeur devenant insupportable), les 28 autres sont fusillés. Tous les corps sont jetés dans une fosse commune sur la route de Flassans.
Pour finir, Maignet ordonne de faire disparaitre le village en l’incendiant. L’église, la mairie le château mais aussi des moulins à huile, des magasins de soie et 433 maisons sont en grande partie détruits. Le village est interdit et le territoire de la commune réparti entre les communes voisines.
La réhabilitation du village et de ses habitants
Après le 9-thermidor an II (27 juillet 1794), les habitants de Bédoin engagent des actions pour obtenir réparation. Le 15 frimaire an III (5 décembre 1794), une délégation demande des comptes à la Convention sur l’action de Maignet, qui n’est pas désavoué. Le 24 frimaire an III (14 décembre 1795), une indemnité est accordée à ceux dont les maisons avaient été incendiées, les terres sont restituées. Enfin, 15 000 personnes participent à Bédoin à la cérémonie du 15 floréal an III (4 mai 1795), lors de laquelle un monument commémoratif est érigé. : une colonne expiatoire surmontée d’une urne funéraire.
Ce monument commémoratif est-il encore debout ? S’il existe encore, où se se situe-t-il exactement?
Merci pour votre réponse
GUILLET Gabriel
Association AIRES Patrimoine
Le Patio
6bis rue de Beauvoir
44340 BOUGUENAIS
Bonjour Gabriel,
En effet le monument commémoratif prévu a bien été érigé à l’emplacement des exécutions. Il se situe aujourd’hui sur une place du village (départementale 213, rue de l’abbé Durand). De plus, une chapelle a été construite sur la fosse commune où ont été jetés les corps des exécutés (route de Flassans). Nous rajoutons ces deux images dans l’article (le monument est repéré sur une carte Google).
Cordialement
Superbe évocation de ce fait historique dans un beau village de haute Provence. Félicitation à l’auteur et à la famille Ginoux.
Ces horribles épisodes se sont reproduites dans plusieurs de ces village dans toute la région. Il est bon que l’Histoire ne les oublie pas.